Ce 20 novembre 1906, le quartier Cap-de-Croix à Nice est en émoi ! Non seulement, le parc zoologique de Cimiez est en faillite, mais la comtesse de Lagrange, fondatrice et propriétaire du zoo vient d’être retrouvée morte, une balle dans le cœur. L’évènement va alimenter la chronique locale pendant de nombreuses semaines. Il faut dire que le parcours d’Émilie Victorine Girard, alias Léa d’Ascot, alias comtesse de Lagrange, n’est pas banal et qu’il a laissé des traces dans l’histoire niçoise.
Émilie Victorine Girard est née le 14 décembre 1852, Faubourg Saint-Martin à Paris, de père inconnu. Adolescente, cette fille n’a qu’une idée en tête, réussir une carrière théâtrale.
À 18 ans, elle part à la conquête du monde du spectacle sous le pseudonyme de Léa d’Ascot. Elle joue sur les grands boulevards parisiens mais elle en veut plus. Pour se faire remarquer, elle porte des tenues exubérantes, monte en ballon, fume le cigare, se balade entourée d’un cortège de femmes métisses. Elle fait tout pour faire parler d’elle et elle y parvient très bien.
En cette fin du XIXe siècle, Nice, fréquentée par des hivernants, des commerçants et un panel d’aventuriers, ouvre théâtres et casinos. En général, ils font appel à des comédiens et danseurs parisiens qui, souvent, ne viennent passer que la saison. Mais pas Léa d’Ascot qui, avec ses cigares, ses tenues provocantes et son cortège exotique, fait sensation dès son arrivée en 1886. Elle devient rapidement la vedette du Théâtre Français de Nice.
C’est là qu’elle rencontre le comte Trippier de Lagrange. Fils d’une grande famille de Mayenne, ayant hérité d’une fortune, rapidement dilapidée, l’homme a tout du comte d’opérette. Ils tombent amoureux et se marient le 31 mai 1889. Ils s’installent dans la ferme de maître Desforges dans le quartier Cap-de-Croix à Cimiez, alors en pleine expansion.
Les deux excentriques comprennent rapidement le potentiel de cette "ferme bretonne". Ils l’ouvrent au public qui, le dimanche, vient en famille boire du lait et manger des fromages blancs à la crème.
Devant le succès, ils installent quelques attractions : tirs au mouton, montagnes russes, bals champêtres. Mais tout va changer le jour où, au retour d’un voyage d’affaires, le comte ramène à son épouse un drôle de cadeau : une superbe lionne. Séduite par le félin, la comtesse décide alors de changer sa ferme en parc zoologique. Pour trouver un capital, elle s’associe avec un commerçant parisien, Albert Sénéchal (qui plus tard va créer la Compagnie anonymes des tramways de Nice-Cimiez).
Quant au comte, il est chargé de parcourir le monde pour ramener divers animaux exotiques. C’est d’ailleurs lors d’un séjour à Singapour qu’il va décéder en 1893. La comtesse lui fait alors ériger une gigantesque statue au centre du parc. Ravis par l’idée d’avoir un zoo à Cimiez, des particuliers enrichissent les collections d’animaux méconnus en France et financent même un lac artificiel où évoluent des cygnes. Le zoo de Cimiez est d’ailleurs le premier en Europe à recevoir un gorille.
En plus d’être attractif, le parc est magnifiquement fleuri et parfumé. Un théâtre et une salle de concert en plein air viennent ajouter à l’attrait du lieu. En 1897, la comtesse acquiert la totale jouissance de la propriété, l’une des plus belles de la Côte d’Azur. Elle dote le parc d’un casino, d’un restaurant et va même créer un organe de presse dédié à sa propre mégalomanie, Le Réveil de Cimiez. Au début du XXe siècle, après l’incendie "inopiné" du casino, l’assurance lui verse la coquette somme de cent mille francs. S’ensuit alors une véritable frénésie de travaux et de dépenses. En mars 1904, elle se remarie avec Alfred de Lestapis, un négociant bordelais. Mais le couple s’intéresse d’un peu trop près à de douteuses transactions immobilières.
Aussi, on ne sait pas s’il y a cause à effet, mais en avril 1905, Léa d’Ascot est victime d’un attentat au révolver. Elle s’en sort, mais décide d’acquérir une arme. C’est alors le début des ennuis. Elle est accusée par certains actionnaires de faux, usage de faux et de chantage. Tous la lâchent, même la municipalité lui refuse son aide.
Ruinée et abandonnée par son mari, elle doit tout hypothéquer : bijoux, œuvres d’art, privilèges des jeux, pas de porte et même les animaux vivants. Le 2 avril 1906, le zoo est déclaré en faillite.
La vente du parc est fixée pour le 22 novembre 1906. Mais à la surprise générale, le 19 au matin, Léa d’Ascot fait le tour de ses créanciers exhibant une liasse de billets de 500 francs. La comtesse aurait donc trouvé de l’argent ? Quelques achats et elle rentre au zoo pour fêter la fin de ses ennuis.
Le lendemain matin, un coup de feu suivit d’un cri fusent de sa chambre. Ses employés la trouvent agonisante. Le temps d’aller chercher du secours, elle rend le dernier soupir. Le commissaire et le médecin légiste décrètent, après diverses constatations, qu’à la suite d’une chute, le coup serait parti du révolver qu’elle portait toujours sur elle et aurait traversé sa poitrine.
Accident ? Suicide ? Mais alors où sont passés la balle et surtout l’argent ? La rumeur enfle. Et pourquoi pas un crime ? Des enquêtes sont menées et font remonter les témoignages d’ouvriers arrivés rapidement sur les lieux.
Ils sont formels : "l’emplacement du révolver à quelques centimètres de la tête de la comtesse ne peut être le fait d’un accident". Éventuellement un suicide qu’elle aurait maquillé en crime afin de recevoir les derniers sacrements et être enterrée en terre chrétienne...
Serait-ce une comédie parfaitement interprétée par une ancienne actrice ? Mais l’éventualité d’un crime n’a jamais été réellement écartée.
Émilie Victorine de Lagrange est enterrée le 21 novembre au monastère de Cimiez alors que le mystère reste entier.
@Blp_
Sources : Comté de Nice et son Histoire et magazine Mesclun N°4 (1984). Nice-Matin Nelly Nussbaum (Publié le 20/11/2021).
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